Transformons l’essai ! (Ceci n’est pas un pamphlet)
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Suite à l’ouverture d’une procédure de licenciement avec effet immédiat qui a conduit au licenciement de l’un de ses membres, le comité de l’AVMG a publié une série de textes pour dénoncer une procédure aussi brutale que disproportionnée. Ensuite, une campagne de mobilisation a été lancée dès la rentrée dans les gymnases vaudois, centrée sur les dangers que représente, pour toute la fonction publique, l’article 61 de la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud, qui permet aux autorités d’engagement de licencier « pour justes motifs » qui que ce soit, sans procédure d’avertissement préalable.
Cette campagne arrive à son terme avec de très bons résultats, puisque plus de 700 collègues des gymnases vaudois ont soutenu des résolutions dénonçant le cadre juridique des procédures de licenciement à l’Etat de Vaud. Cette mobilisation dans les seuls gymnases est réjouissante et encourageante, mais elle n’est pas suffisante.
En effet, parallèlement à la mobilisation des gymnases, nous avons envoyé à la Présidente du Conseil d’Etat, Madame Nuria Gorite, une lettre demandant l’ouverture de négociations sur cet article éminemment problématique de la Loi sur le personnel, lettre qui n’a toujours pas reçu à ce jour le moindre accusé de réception. Il faut donc que la mobilisation et la pression collective, dans tous les secteurs de l’enseignement et de la fonction publique, gagne en force et en ampleur. Ce sera l’une des conditions nécessaires pour que le Conseil d’Etat accepte d’ouvrir une négociation. Dans tous les secteurs, il est important que des pétitions ou des résolutions soient signées et votées pour la demander instamment.
Unité syndicale
Pour faire ouvrir une négociation sur un article de la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud qui concerne toute la fonction publique, et pour être en mesure d’obtenir une solution négociée acceptable, l’unité syndicale est absolument nécessaire. À cet égard, la demande de négociation de la FSF sur ce dossier est un premier point très positif. À notre connaissance, le SSP a dénoncé comme nous l’article 61 de la Lpers. Si la direction vaudoise du syndicat des services publics n’a pas souhaité participer à la mobilisation récente dans les gymnases, pour des raisons qui lui appartiennent, on ne voit pas pourquoi elle ne voudrait pas s’engager dans une action collective qui concerne toutes et tous ses membres. Nous attendons encore sa position et sa détermination.
En marge des affaires individuelles directement concernées par l’application discrétionnaire de cet article de loi, l’unité syndicale est possible sur des revendications simples : la sécurité des conditions de travail dans la fonction publique, des dédommagements à la hauteur des torts subis et le droit à la réintégration, en cas de décision judiciaire qui reconnaîtrait le caractère abusif ou infondé d’un licenciement avec effet immédiat.
La Suisse et la liste noire de l’OIT
En matière de droit du travail et de licenciement, la Suisse n’est pas exemplaire puisqu’elle figurait jusqu’à l’été dernier sur une liste noire de l’Organisation internationale du travail, avec la Biélorussie, le Tadjikistan ou la Sierra Leone. Si elle en a été provisoirement retirée, c’est que le Conseil fédéral a proposé une médiation entre patronat et syndicats pour trouver une solution qui accorderait davantage de protections aux représentants des syndicats en cas de licenciement. « Nous n’aimons pas tellement ces listes », avait reconnu à ce moment le Conseiller fédéral Alain Berset. Le cas de la Suisse sera réexaminé d’ici un an, à l’issue de la médiation ouverte par le Conseiller fédéral Guy Parmelin.
Le droit suisse reconnaît certes qu’un licenciement est abusif quand celui-ci est lié à des activités syndicales, mais ne reconnaît un droit au dédommagement maximal que de six mois de salaire (art. 336a al. 2 du Code des obligations), compensation très insuffisante selon l’OIT. Il ne reconnaît pas non plus de réintégration suite à une décision judiciaire qui établirait le caractère abusif ou infondé d’un licenciement, particulièrement lié à des activités syndicales, ce que revendiquent les syndicats. Nous n’aimons pas tellement le droit suisse qui régit les rapports de travail dans l’économie privée.
L’Etat de Vaud et l’article 61 de la Loi sur le personnel de la fonction publique
L’article 61 de la Lpers qui permet à l’employeur de licencier avec effet immédiat pour « justes motifs » quiconque dans la fonction publique est un décalque de l’article 337 du Code des obligations[1]. Que le même dispositif légal régisse les rapports de travail dans le monde de l’économie privée et dans la fonction publique constitue un problème en soi, dès le moment où la disposition du CO est déjà inacceptable dans le privé. Il faudrait en effet établir que beaucoup de professions de la fonction publique, et dans les entreprises, devraient bénéficier de protections et de garanties fortes, contre d’éventuelles décisions arbitraires des autorités d’engagement. Et contrairement aux salarié-e-s licencié-e-s par une entreprise qui peuvent, parfois, retrouver un emploi équivalent dans une autre entreprise, les employé-e-s de la fonction publique qui sont licencié-e-s avec effet immédiat à l’Etat de Vaud connaissent souvent une véritable mort sociale et professionnelle, puisqu’ils/elles ne peuvent plus être à nouveau engagé-e-s dans les services de l’Etat, quand bien même un tribunal reconnaîtrait le caractère abusif du licenciement. Si de surcroît le licenciement est associé de près ou de loin à une accusation infamante, même infondée, la décision de l’employeur équivaut pour la personne licenciée à une liquidation morale et personnelle définitive.
Cette situation particulière liée à la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud est une véritable anomalie dans un Etat de droit moderne, surtout si l’on considère que depuis l’entrée en vigueur de la Lpers (2001), la très grande majorité des licenciements s’est déroulée selon la procédure extraordinaire et non selon la voie ordinaire, avec avertissements et possibilité de réintégration.
Mobilisation générale
Nous allons même jusqu’à soutenir que la jurisprudence liée à l’article 61 de la Lpers est dangereuse pour le fonctionnement pleinement indépendant de la justice et des tribunaux administratifs. Comment en effet imaginer que les procès pour licenciement puissent donner lieu à de véritables enquêtes quand les juges savent d’emblée que, quelle que soit l’issue du procès, il n’y aura pas de réintégration possible ?
Ce que nous pouvons obtenir, à la faveur d’une mobilisation générale de la fonction publique contre les dangers que fait peser sur nos professions ce dispositif légal et létal, en forçant le Conseil d’Etat à ouvrir une négociation, c’est une véritable avancée pour nos protections de travail et un progrès de justice et de démocratie.
De même que le patronat suisse devrait enfin reconnaître qu’il est souhaitable et nécessaire que les délégués syndicaux bénéficient de protections particulières dans les entreprises, le Conseil d’Etat vaudois devrait nous entendre et saisir l’occasion de faire faire ce progrès au canton de Vaud, pour toutes et tous les employé-e-s de la fonction publique.
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Pour mémoire, vous lirez sur le site de SUD le courrier au Conseil d’Etat pour demander des négociations sur l’art. 61 LPERS. Sur le licenciement de Philippe Leignel et la position syndicale sur cette affaire et plus généralement sur l’art. 61 LPERS, il faut lire les Brèves de l’AVMG d’avril 2019, les Brèves de l’AVMG de juin 2019, et les Brèves de l’AVMG d’août 2019. L’Etat de la mobilisation dans les gymnases est à suivre sur le site de l’AVMG (www.avmg.ch).
[1] Art 337 CO – L’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs; la partie qui résilie immédiatement le contrat doit motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande.
Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail.
Art. 61 Lpers – L’autorité d’engagement ou le collaborateur peut résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs. Sont notamment considérées comme tels, toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail.