L’Association de défense des chômeuses et chômeurs (ADC) et SUD publient ensemble un numéro spécial de couRAGE et SUD-Info consacré aux femmes et au chômage
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Aptitude au placement et attestations de garde:
les mères chômeuses dans le viseur de l’ORP
La mise en oeuvre de la Loi sur l’assurance-chômage (LACI) est soumise au respect de l’égalité entre femmes et hommes garantie par la Constitution suisse (art. 8 al. 3 Cst.). Diverses conventions internationales obligent également la Suisse à concrétiser l’égalité entre femmes et hommes, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les discriminations à l’égard des femmes (CEDEF) ratifiée par la Suisse en 1997. Cet ensemble de normes juridiques impose de réaliser l’égalité des sexes dans les faits, alors que se maintiennent les inégalités de genre dans de multiples domaines, comme par exemple en matière de salaire.
En ce qui concerne le chômage, les inégalités persistent aussi: il existe en Suisse comme dans plusieurs pays européens un «surchômage féminin», les femmes étant proportionnellement plus touchées par le chômage, tandis qu’elles sont plus faiblement représentées parmi les personnes inscrites auprès d’un Office régional de placement (ORP) en vue d’obtenir des indemnités1. Un accès inégal à l’assurance se maintient ainsi en termes notamment d’accès aux indemnités, de prestations, et de «légitimité sociale» à recevoir une indemnité2.
La question de l’égalité des sexes dans l’assurance-chômage découle aussi des directives du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Celles-ci prévoient explicitement une «intégration de la dimension de genre dans l’application de LACI»3. Selon le SECO, il s’agit d’une «stratégie globale, (…) visant à ancrer à long terme l‘égalité sous tous ses aspects et à tous les niveaux afin de garantir aux femmes et aux hommes la jouissance égale des biens, des chances, des ressources et de la reconnaissance sociaux»4.
Plus concrètement, toujours selon le SECO, il convient donc de faire une «application non sexiste de la LACI». Cela implique par exemple que femmes et hommes aient «les mêmes possibilités d’exercer leurs droits tout au long du processus de réinsertion (information initiale, entretiens de conseil et de contrôle, assignation, placement, etc.)»5.
Ces normes sont pourtant loin d’être une réalité dans la pratique. L’ADC relève depuis de nombreuses années une discrimination récurrente en rapport notamment à l’exigence de l’aptitude au placement. Dans ce cadre, ce sont les femmes qui sont particulièrement visées lorsqu’elles sont mères avec des enfants en bas âge. L’ADC a récemment été confronté à des manières de faire de l’ORP qui vont clairement à l’encontre du cadre légal et réglementaire précité.
Rappelons en quoi consiste l’aptitude au placement: il s’agit là de l’une des conditions pour que l’assuré·e ait droit à l’indemnité de chômage (art. 8 al 1 let. f LACI). Elle implique d’être disposé·e «à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration» et «d’être en mesure et en droit de le faire» (art. 15 al. 1 LACI). En soi, cette condition donne à l’ORP une très large marge de manœuvre pour assigner des chômeuses et chômeurs à des emplois ou des mesures d’insertion d’une manière extrêmement contraignante.
Madame X qui est au chômage après un congé-maternité se voit assigner à un emploi et on lui demande, dès le départ, de préciser les solutions de garde dont elle dispose. Elle explique qu’elle a essayé d’inscrire son enfant à toutes les garderies et qu’une première place n’est disponible que plusieurs mois plus tard. Madame Y a été déclarée inapte au placement peu après la fin de son congé-maternité, estimant que l’assurée n’avait plus de solution de garde pour son enfant en cas de reprise d’emploi ou pour suivre une mesure active assignée par l’ORP. Madame Y va ensuite retrouver un emploi à 50%, mais l’ORP va ensuite la sanctionner parce qu’elle n’aurait pas remis ses recherches d’emploi, alors même qu’elle travaille à 50% pour une aptitude au placement à 50% (ce qui avait été fixé avec l’ORP). Madame Y est donc sanctionnée quand elle n’a pas de solution de garde, et sanctionnée encore quand elle est parvenue à travailler à 50%! |
A cela s’ajoute le fait que la contrainte à l’aptitude au placement ne s’exerce pas de la même manière pour les femmes et les hommes et selon la situation familiale. L’ADC a observé notamment deux pratiques particulièrement choquantes: des assignations à des mesures après un congé-maternité et l’exigence d’attestations de garde en cas de retour de maternité. Voici deux exemples récents relevées lors de nos permanences (cf. encadré).
On le voit, le système ne fait pas de cadeaux aux personnes qui ont des enfants à charge. Le SECO prévoit en effet qu’«un assuré assumant la garde d’enfants doit remplir les mêmes conditions de disponibilité que tout autre assuré. Il lui appartient d’organiser sa vie privée et familiale de telle sorte qu’elle ne constitue pas un obstacle à sa recherche d’une activité salariée correspondant au taux d’occupation recherché ou à l’emploi qu’il a perdu».6
Ce contrôle n’est toutefois pas sans limites. Tout d’abord, «la personne assurée peut organiser la garde de ses enfants comme elle l’entend. Les organes d’exécution ne peuvent exiger une attestation de garde lors de l’inscription»7. Il est donc important de rappeler que «l’aptitude au placement ne peut pas purement et simplement être niée sur la base du devoir de garde de l’assuré»8. Et si la personne qui cherche un emploi à 100% ne parvient pas à prouver que la garde de ses enfants est complétement garantie, l’ORP doit examiner si elle a la possibilité de travailler à un moindre pourcentage avec sa solution de garde (au minimum à 20%)9, afin qu’elle puisse donc être indemnisée par le chômage.
De plus, l’examen de l’aptitude au placement et des possibilités concrètes de garde intervient, au cours de la période d’indemnisation, «si des doutes évidents apparaissent quant à la volonté ou à la possibilité de la personne assurée de confier la garde de ses enfants à un tiers ou à une institution»10. Ces doutes peuvent exister «lorsque la personne assurée ne fournit pas suffisamment de recherches d’emploi, qu’elle a dû abandonner son précédent emploi en raison de ses obligations de garde, qu’elle pose des exigences irréalistes pour la prise d’un emploi ou concernant les horaires de travail, ou encore qu’elle refuse un emploi réputé convenable»11.
Mais on voit que dans la pratique les contrôles en matière d’attestations de garde visent des femmes qui
reprennent la recherche d’emploi après un congé-maternité. Doit-on donc comprendre que la maternité justifie un «doute évident» quant à l’aptitude au placement? Une telle conception est clairement contraire à l’égalité entre femmes et hommes et à toutes les directives en la matière de même que les intentions énoncées par le Conseil fédéral de réglementer la pratique de manière égalitaire. Celui-ci avait en effet, il y a douze ans en arrière, émis un rapport suite à une question parlementaire abordant ce problème12. Le rapport constatait une pratique disparate parmi les ORP et la persistance de «certains types de comportements qui traduisent une discrimination non consciente»; le Conseil fédéral annonçait alors sa volonté d’agir afin «d’unifier la pratique et d’écarter le risque de discrimination et d’arbitraire»13.
La «sensibilisation» promise par le Conseil fédéral paraît bien loin de la pratique constatée qui fait perdurer ces discriminations. Concrètement, cette situation a pour conséquence d’exclure des femmes de l’assurance-chômage. Puisque déclarées inaptes au placement, elles se voient donc privées d’indemnités pour lesquelles elles ont cotisé! Ce système entretient ainsi le problème de la sous-indemnisation des femmes au chômage, il les surexpose à la précarité et à la pauvreté.
Notes
1 Carola Togni, Le genre du chômage, Lausanne: Editions Antipodes, 2015, p. 9.
2 Carola Togni, Le genre du chômage, Lausanne: Editions Antipodes, 2015, p. 10.
3 Bulletin LACI IC, janvier 2018, E 107 ss.
4 Bulletin LACI IC, janvier 2018, E 107.
5 Bulletin LACI IC, janvier 2018, E 110.
6 Bulletin LACI IC, janvier 2018, B 225.
7 Bulletin LACI IC, janvier 2018, B225a.
8 Bulletin LACI IC, janvier 2018, B225b.
9 Bulletin LACI IC, janvier 2018, B225b.
10 Bulletin LACI IC, janvier 2018, B225a.
11 Bulletin LACI IC, janvier 2018, B225a
12 Cura Vista, Question 04160, Egalité des droits pour les mères au chômage, posée par Jacqueline Fehr (PS) le 14.12.2004, https://www.parlament.ch/en/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20041160#/!
13 SECO-Direction du travail, Rapport sur la discrimination dans le domaine du chômage, 15.12.2006, http://www.news-service.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/6261.pdf, p. 8.
Ne laissons pas les ORP mettre la main sur nos vies! L’ORP a certes de nombreux moyens légaux de nous contraindre dans le cadre de l’assurance-chômage, mais il ne peut porter atteinte à l’égalité entre femmes et hommes, ni traiter de manière inégalitaire les personnes qui ont charge de famille ou encore s’ingérer dans notre sphère privée. Ne nous laissons pas faire, et n’oublions pas que: |
Levée du secret médical au chômage
Les caisses prêtes à tout pour nous punir!
Il y a quelques années, l’ADC s’était déjà battue contre la levée du secret médical exigée par les ORP. On avait gagné cette bataille.
Actuellement, se sont les caisses de chômage qui s’attaquent au secret médical. Lorsque vous avez résilié un contrat de travail pour des raisons de santé, les caisses de chômage (Unia, par exemple) donne au chômeur ou à la chômeuse un formulaire «Certificat médical concernant la résiliation des rapports de travail pour raisons médicale», à faire remplir par votre médecin. Ce formulaire précise que le ou la chômeuse accepte la levée du secret professionnel concernant les informations médicales demandées.
Premier choc: le médecin doit remplir et envoyer le formulaire directement à la caisse de chômage, sans que l’on puisse lire ce qu’a notifié le médecin!
Deuxième choc: vous devez délier votre médecin du secret médical auprès de personnes qui ne sont ni
médecin, ni du secteur de la santé! Donc, des informations sensibles seront traitées par des personnes uniquement dans le but de nous punir, si la caisse de chômage estime que les raisons médicales qui vous ont poussé à résilier le contrat de travail ne sont pas vérifiées.
Tant sur le fond que sur la forme ce procédé est particulièrement choquant. Il est inadmissible que les caisses de chômage ait une décharge aussi absolue.
La levée du secret médical est une mesure lourde de sens, permettant de donner des informations appartenant à la sphère privée, tel un diagnostic, des résultats d’examen, des informations liées à des maladies antérieures, etc.
Cet outil de contrôle et de sanction est inacceptable. S’il y a nécessité d’obtenir des informations médicales pour que les caisses de chômage puissent établir un droit aux prestations, il n’y a aucune nécessité que le secret médical soit levé. Son seul but est de sanctionner les assuré.e.s: si nous refusons la levée du secret médical, nous nous exposons à être sanctionné.e.s pour une perte fautive d’emploi et si nous acceptons la levée, cela ne garantit nullement que l’on ne soit pas puni.e et la caisse sera en possession d’informations très personnelles nous concernant!
Il nous paraît essentiel que nous gardions la maîtrise sur notre dossier et les échanges qui se font avec le médecin. Afin de tenter d’éviter l’intrusion de la Caisse de chômage dans votre sphère privée, nous proposons ainsi quelques modèles d’attestation médicale à remettre lors de votre inscription au chômage, ce qui devrait suffire à la Caisse de chômage pour établir votre droit au chômage. N’hésitez pas à passer à notre permanence pour faire relire ladite attestation avant de la remettre à la caisse de chômage.
Modèle 1 d’attestation médicale
En-tête de votre médecin (un généraliste est amplement suffisant).
Madame Françoise Vodoz est ma patiente depuis mai 2007. Elle m’a parlé des problèmes qu’elle rencontrait sur son lieu de travail, l’entreprise Bien-Etre à Lausanne.
Je l’ai suivie depuis avril 2010, et nous nous sommes fixés des rendez-vous toutes les deux semaines, régulièrement.
En juin 2010, sa situation professionnelle devenait extrêmement difficile. Afin de la protéger, j’ai dû la mettre en arrêt maladie à plusieurs reprises. La première fois, une semaine en juin; puis, après une reprise en juillet à temps partiel (50%), son état de santé s’est aggravé et j’ai à nouveau dû lui proposer un nouvel arrêt maladie à 100%, en août 2010.
Durant le mois de septembre 2010, alors qu’elle avait une reprise de travail à 30%, il lui était impossible de continuer son emploi auprès de cette entreprise sans mettre sa santé en danger. Je lui ai alors fortement conseillé de résilier les rapports de travail.
Actuellement, Mme F. Vodoz est apte à 100%, mais en aucun cas auprès de l’entreprise Bien-Etre.
Modèle 2 d’attestation médicale
En-tête de votre médecin (un généraliste est amplement suffisant).
Madame Nathalie Favre est ma patiente depuis mai 2007. Elle m’a parlé des problèmes qu’elle rencontrait sur son lieu de travail, l’entreprise Bien-Etre à Lausanne.
Je l’ai suivie depuis avril 2010, et nous nous sommes fixés plusieurs rendez-vous. A chaque consultation, ses problèmes de travail étaient discutés.
En juin 2010, sa situation professionnelle devenait
extrêmement difficile. Dans le but de la protéger, j’ai dû la mettre en arrêt maladie à 100%.
Durant cette période, j’ai constaté que son état de santé s’empirrait à l’idée de retourner travailler à l’entreprise Bien-Etre. Au vu de sa situation professionnlle je lui ai alors fortement conseillé de résilier les rapports de travail.
Actuellement, Mme N. Favre est apte à 100%, mais en aucun cas auprès de l’entreprise Bien-Etre.
Modèle 3 d’attestation médicale
En-tête de votre médecin (un généraliste est amplement suffisant).
Monsieur Roger Maillard est mon patient depuis mai 2007. Il m’a parlé des problèmes qu’il rencontrait sur son lieu de travail, l’entreprise Bien-Etre à Lausanne.
Je l’ai suivi depuis avril 2010, et nous nous sommes fixés plusieurs rendez-vous. A chaque consultation, ses problèmes de travail étaient discutés.
En juin 2010, sa situation professionnelle devenait extrêmement difficile. Dans le but de le protéger, je lui ai proposé de lui remettre un arrêt maladie. M. R. Maillard a refusé, pensant qu’il allait pouvoir «tenir le coup».
Durant cette période, j’ai constaté que son état de santé se dégradait à l’entreprise Bien-Etre. Au vu de sa situation professionnlle je lui ai alors fortement conseillé de résilier les rapports de travail afin d’éviter qu’il ne tombe gravement malade.
Malgré ces dégradations, M. Roger Maillard a refusé de se mettre en arrêt maladie. En date du 15 juillet, il m’a informé qu’il était licencié.
Actuellement, M. R. Maillard est apte à 100%, mais en aucun cas auprès de l’entreprise Bien-Etre.