SUD info – Février 2012
Edito
Ce nouveau bulletin SUD social rend compte de notre enquête de septembre 2011 et illustre, par un fait tragique survenu en France, les conséquences de la dégradation du travail dans notre secteur. Nous avons aussi, comme à Orange, comme à Renault, nos suicidé⋅e⋅s du travail.
Mais, naturellement, un constat ne suffit jamais. Il nourrit et fonde une critique ou une indignation. Il faut y ajouter de l’engagement. Les motifs et les champs de mobilisation sont bien nombreux. Les veilleurs/euses d’Eben-Hézer qui défendent leur emploi et leur utilité sociale nous en montrent une. La question du statut et du salaire des travailleurs/euses sociaux/ales en est un autre et urgent. Il faut à tout prix faire reconnaître, transversalement, partout, la même valeur les certifications et les formations effectuées. Ce n’est pas le cas aujourd’hui…
A la lutte pour des conditions de travail décentes, il faut ajouter une mobilisation permanente, incontournable, pour que le travail social constitue une intervention pour le bien commun, basée sur la reconnaissance des besoins, de la dignité et de la liberté des usagers/ères. Cette reconnaissance est indispensable pour concevoir et pratiquer une aide sociale à la fois efficace et humaniste.
L’action de SUD, de l’ADC et de travailleurs/euses sociaux/ales de base, a récemment permis d’empêcher une dégradation et même d’obtenir une certaine amélioration dans les pratiques d’aide sociale. Ce modeste succès fait exemple et nous invite à aller de l’avant. Les luttes continuent.
Enquête sur les conditions de travail dans le secteur social
Voici une première analyse des résultats de l’enquête sur les conditions de travail
dans le secteur social proposée
par la Fédération syndicale SUD en septembre 2011.
Résultats
1. 99 questionnaires retournés (69 femmes et 30 hommes)
2. Âge
– Employé⋅e de moins de 25 ans (17.17%)
– Employé⋅e entre 25 et 45 ans (63.64%)
– Employé⋅e entre 45 et 65 ans (19.19%)
3. Fonction
– Travailleur/euse social⋅e (80.81%)
– Travailleur/euse socio-administratif (12.12%)
– Responsabilité d’encadrement (7.07%)
4. Ancienneté sur le lieu de travail
– moins de 2 ans (39.39%)
– entre 2 et 5 ans (33.33%)
– entre 5 et 10 ans (17.17%)
– plus de 10 ans 10.11%)
5. Organisation du travail
Des items relatifs à l’organisation du travail, il ressort, pour les personnes ayant répondu à l’enquête:
– Que leur poste est assez bien, voire très clairement, défini pour 78.79% des personnes sondées.
– Que les objectifs assignés sont clairement connus pour 51.52% et en partie connus pour 40.4% des professionnel⋅le⋅s ayant répondu.
– Que la description de leur poste de travail est claire et adaptée pour 24.24% ou suffisamment claire et adaptées pour 50.51% des personnes sondées.
– Que les directives et procédures à suivre sont très claires pour 11.11%, et assez claires pour 59.59% des personnes.
Une lecture sommaire de ces résultats permet de constater que 70 à 80% des personnes sondées considèrent que les aspects organisationnels du travail, tels la définition et la description du poste de travail, les objectifs, directives et procédures à suivre, sont en général suffisamment clairs.
Cette position soulève quelques interrogations. Quelle est l’implication des travailleurs/euses sociaux/ales dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre des orientations et dans la détermination des objectifs de la politique sociale du service ou de l’établissement qui les emploie? On peut déceler une volonté des employeurs du secteur social d’imposer une conception et une stratégie d’organisation du travail basé sur la parcellisation et la prégnance des normes contraignantes. A la clef, il y a la hiérarchisation et l’intégration de plus en plus évidentes d’une disciplinarisation et d’une compartimentation des activités. Ces éléments conditionnent et modifient les métiers du social.
Avec ce type d’organisation du travail, ce qui se perd, ce sont les valeurs, les objectifs, la richesse de la pensée et des démarches du travail social qui permettent la co-construction avec les personnes accompagnées du processus de conquête ou de re-conquête de l’autonomie. Tout ce qui se passe est lié à une politique de contrôle et d’encadrement des gens qui fait de la remise au travail l’objectif prioritaire et la pierre de touche de la politique sociale.
Les réponses apportées aux items liés à l’encadrement confirment cette tendance au développement d’une hiérarchisation au sein des services et établissements et d’une standardisation des interventions dans le domaine du travail social. En effet, lorsque 60% des personnes sondées considère que leur supérieur⋅e hiérarchique les aide à bien accomplir leur travail et que 50% estime utile la direction de leur unité de travail pour l’accomplissement de leurs tâches, on perçoit clairement que la hiérarchie intervient de plus en plus souvent pour orienter et conditionner l’intervention des intervenant⋅e⋅s sociaux/ales et socioadministratifs/ves. Quand 59 personnes sur 99 mentionnent que leur supérieur⋅e les aide a bien accomplir leur travail, l’intervention des cadres pour s’assurer et vérifier que leurs subalternes appliquent correctement les directives révèle la nature des politiques managériales, la standardisation des démarches et l’approche disciplinaire de la gestion du personnel.
Les réponses à l’enquête apportent par contre un éclairage beaucoup plus nuancé concernant l’écoute et la reconnaissance du travail des collaborateurs/ trices par la hiérarchie. Si 60 personnes mentionnent qu’elles sont entendues et reconnues dans leur travail par leur chef⋅fe direct⋅e, elles ne sont plus que 40 à porter la même appréciation en ce qui concerne la direction du service ou de l’établissement.
En matière de conditions de travail, l’enquête nous donne des résultats surprenants. Alors que de nombreux/ses professionnel-le-s dénoncent une charge de travail croissante et des dotations insuffisantes, les réponses à l’enquête mettent en évidence que la charge de travail est supportable (pour 20.2% des sondés) ou assez supportable (pour 45.45%). 34 personnes mentionnent que leur charge de travail est peu ou pas du tout supportable. La tendance s’inverse radicalement lorsqu’il s’agit d’évoquer l’aide apportée par la hiérarchie pour gérer la charge de travail. En effet, 66.66% mentionnent qu’ils/elles sont peu ou pas du tout aidé⋅e⋅s.
Les réponses sur la protection de la santé et la sécurité au travail révèlent que 50% des personnes sondées estime que leur employeur prend les mesures adéquates pour garantir la santé et la sécurité au travail… Tandis que l’autre 50% dénonce l’absence de mesures adéquates. Ce constat est alarmant. Il dénote le peu de cas que font certain⋅e⋅s employeurs/euses de leur responsabilité et le peu d’attention portée à la santé physique et psychique d’une partie importante des travailleurs/euses.
Ce non-respect des dispositions légales en lien avec la protection de la santé est par ailleurs corroboré par deux items du chapitre consacré à la santé au travail.
En effet, 63 personnes se déclarent très souvent (23 personnes) ou assez souvent (40 personnes) fatiguées au travail. 65 personnes se déclarent également stressées au travail (23 très souvent et 42 assez souvent).
Il est urgent que nous dénoncions la dégradation des conditions de travail dans les services et établissements sociaux, qu’ils soient publics, parapublics ou privés.
Cette enquête sur les conditions de travail doit inciter les travailleurs/euses sociaux/ales à prendre la parole et à donner à ces premiers constats une visibilité amplifiée. Les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnel⋅le⋅s du secteur social et les continuelles péjorations des prestations aux usager⋅ère⋅s qu’induisent les politiques publiques et l’organisation administrative doivent être plus largement documentées, éclairées de manière permanente. Cette petite action n’aura pas été totalement inutile si elle nous permet de ne plus subir, mais d’être les acteurs et actrices de la promotion du sens et des valeurs du travail que nous accomplissons.
Crise sociale
Les éducateurs spécialisés, chair à canon de la lutte contre les inégalités
En France aussi, les problèmes de surcharge et de pénibilité et l’absence de protection des travailleurs/euses ont des conséquences dramatiques sur la santé des intervenants sociaux. Cette problématique entraîne des drames, comme l’illustre l’article ci-dessous paru dans La Voix du Nord
(Article réduit ne comportant à notre avis que les points essentiels. SUD tient à disposition des personnes intéressées l’article complet)
En première ligne face à l’explosion du chômage et de la précarité, les éducateurs subissent aussi une dégradation de leurs conditions de travail. Fin 2011, à la suite du suicide d’un de leurs collègues, près de 200 salariés de l’Association d’action éducative et sociale, à Dunkerque, ont exercé leur droit de retrait. Une illustration du quotidien de plus en plus difficile de ces acteurs, ultime rempart face à la misère sociale.
«La révision générale des politiques publiques tue.» C’est par ces mots que Philippe Toulouse, délégué syndical (CGT), qualifie la lente dérive de l’association dunkerquoise d’action sociale et éducative (AAE). Cette structure, financée par des fonds publics, est censée servir de digue face à l’explosion des inégalités sociales. À Dunkerque, ville frappée par la désindustrialisation, avec son lot de chômage, d’«exclus» et d’adolescents en rupture sociale, les 350 salariés de l’AAE sont aussi confrontés à des méthodes de management brutales et à des réductions drastiques des coûts. Ce qui n’est pas sans conséquences sur leur santé mentale et physique. Cette situation a pris, le 17 novembre dernier, un tournant tragique.
Ce jour-là, un des salariés, Fabrice Hrycak, 38 ans, est retrouvé pendu sous un pont de Dunkerque. L’éducateur spécialisé comptait dix ans d’ancienneté…
Salarié agressé et… licencié
Pour l’ensemble des collègues et la famille de Fabrice, aucun doute: ce suicide est directement lié au calvaire que ce salarié vivait depuis le 8 septembre. En situation de légitime défense, il avait alors répliqué «par un coup de tête» à un garçon de 14 ans qu’il encadrait et qui venait de lui casser deux côtes. Fabrice s’était déjà fait briser une côte quatre mois plus tôt. Ce qui n’avait en rien inquiété la direction, terrée dans un mutisme digne des dirigeants de France Télécom ou de La Poste, et refusant de reconnaître ces agressions comme des accidents du travail.
Le lendemain de l’agression de Fabrice, au lieu de défendre son salarié, la direction d’AAE décide de le licencier pour «faute grave». Devant la mobilisation de ses collègues, la sanction est transformée en un avertissement assorti d’une mutation à Hazebrouck, à 50 kilomètres de Dunkerque, alors que Fabrice ne dispose pas de véhicule. «Fabrice aimait son travail et ne comprenait pas que la direction l’ait sanctionné pour s’être défendu face à un jeune garçon violent et qui pète les plombs, comme cela arrive tous les jours au sein d’AAE», explique Philippe Toulouse…
Une direction totalement déconnectée
Isolement, injustices, violence des échanges… Ce décès tragique n’a pas sa place dans la rubrique des faits divers, plutôt dans celle des choix économiques pris par une direction de gestionnaires locaux qui vivent loin de la réalité du terrain…
…Sur le terrain, les salariés, via l’intersyndicale CGT-CFDT-SUD, sont unanimes pour dénoncer l’aggravation de leurs conditions de travail. Le 21 novembre, leur marche silencieuse rassemble plus de 550 personnes à Dunkerque. Deux réunions de crise se tiennent à la sous-préfecture. Sans que le dialogue ne s’engage. D’un côté, les salariés reprochent à leur direction son «autisme». De l’autre, celle-ci les accuse de «mettre la structure en péril»…
«Un véritable acharnement»
Dès la découverte macabre, entre 100 et 200 salariés de l’AAE exercent leur droit de retrait: un dispositif actionné en cas de «risque grave et imminent pour la santé des salariés», qui permet de cesser le travail sans limite de temps et sans répercutions sur les salaires. Dix-huit jours de retrait au 5 décembre: «Un record de durée en France», explique-t-on à la CGT. «L’exercice du droit de retrait excède rarement 24 ou 48 heures. Dans le cas de l’AAE, il y a eu un véritable acharnement contre ce salarié et une volonté délibérée de ne pas résoudre les problèmes de fond», constate Philippe Crepel, responsable CGT-Santé dans le Nord-Pas-de-Calais. «Un droit de retrait de deux semaines, je n’ai jamais vu ça! Cela fera date dans l’histoire du droit de retrait en France!», ajoute Pascal Chavatte, responsable CGT-Santé.
Pour Gauthier, un salarié d’AAE, l’enjeu n’est pas de battre des records. «On se bat pour que les vraies raisons de ce suicide, la baisse du personnel et la politique du chiffre, changent pour de bon.»
Des mouchards plutôt qu’un audit social
«Nous sommes de plus en plus nombreux à nous retrouver seuls pour gérer 15 ou 16 gamins en même temps», témoigne Gauthier, qui précise avoir souvent en face de lui «d’anciens criminels»: «Je me suis déjà retrouvé seul face à un gars de 46 ans avec vingt-trois ans de prison derrière lui. Cela peut devenir extrêmement dangereux.» La logique de la réorganisation? «Les adultes ou les enfants en souffrance deviennent des marchandises qui doivent remplir tous azimuts les structures d’accueil», résume Philippe Toulouse. Depuis 2010, les salariés «travaillent avec des moyens de plus en plus dérisoires», confirme l’ancienne directrice de la communication, Laure Lahaeye, devenue éducatrice. «Des gamins qui regardent la télé à même le sol, pas de ballons ni de jeux de société. Des éducateurs qui doivent gérer 14 gamins agités en même temps et des agressions physiques quasiment hebdomadaires. Voilà le quotidien des éducateurs de l’AAE à Dunkerque.
Lors de la restructuration, le CHSCT, comme la loi le lui permet, avait demandé une expertise indépendante sur les conditions de travail. La direction refuse et assigne le CHSCT au tribunal, avant de lever sa plainte six mois plus tard. En décembre 2010, toujours pas d’expertise, mais un nouveau cri d’alarme, celui de la médecine du travail. Elle écrit alors à la direction pour lui demander d’être «très vigilant(e) face à la situation actuelle». «Des salariés exprimant leur souffrance physique, psychologique, un mal-être au travail et verbalisant le fait de ne plus trouver de sens à leur travail. (…) Il y a de nombreuses incivilités (et) il est difficile de travailler dans certaines structures. Cela a un impact énorme sur la santé psychologique des salariés.»
Au lieu de procéder à un audit social (qui sera finalement déclenché au lendemain du suicide de Fabrice) et d’améliorer les conditions de travail, les dirigeant d’AAE préfèrent investir dans un système sophistiqué de contrôle des employés. De petites balises sont installées dans les véhicules des salariés permettant leur géolocalisation à tout moment. Coût: 85 000 ¬, soit davantage que l’expertise demandée. Une «honte» pour les salariés.
De son côté, la direction n’esquisse aucune remise en question. Dans une lettre envoyée aux salariés le 25 novembre 2011, elle enfonce même la victime: «En mutant M. Hrycak à Hazebrouck pour travailler non plus avec des jeunes mais avec des adultes (…), nous continuons de penser qu’AAE a pris la meilleure décision possible. (…) L’idée que ce geste désespéré est lié à cette mesure ou à ses conditions de travail ne peut qu’apparaître inexacte. «Et de conclure que ce suicide est lié «à d’éventuelles raisons extraprofessionnelles», ce que nient en bloc la famille et les collègues de Fabrice.» Cette lettre est un pas de plus dans le dénigrement de la mémoire de notre collègue», estime Philippe Toulouse, tandis que la direction durcit le ton: «Toute absence du poste de travail ne pourrait qu’être considérée comme illégitime et emporterait des conséquences, tant sur le plan disciplinaire que sur la rémunération.»
Le 5 décembre, les salariés d’AAE ont levé leur droit de retrait à la suite de négociations avec la direction et le conseil général. Recrutement d’un nouveau DRH, présence d’un chef d’équipe pour rééquilibrer les horaires de travail, injection d’un million d’euros par le département, promesse de retrait immédiat du système de géolocalisation, examen des «dépenses publiques infondées»… Les salariés ne sont pas dupes: ils savent qu’ils devront rester vigilants et faire bloc pour obtenir des avancées réelles. «À nous de continuer», conclut Gauthier.
J. B. (3 janvier 2012)