Qui sommes-nous

Spécial triangle maudit

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1 Cahier des charges
2 Visites systématiques de contrôle
3 Entretien d’appréciation

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L’école est en mutation et les dangers de ces changements sont grands. Sont mis en cause les enseignements et la formation intellectuelle que l’institution scolaire doit impartir. Le sont tout autant les conditions de travail, le statut et la professionnalité des enseignant⋅e⋅s eux/elles-mêmes.

La première chose est de faire des liens entre tout ce qui nous arrive, de restituer le projet dans sa cohérence et sa structure. Nous avons choisi tout d’abord de le nommer: le triangle maudit.

Lavril2012.qxdes 3 pointes du triangle maudit sont: le cahier des charges, l’entretien d’évaluation et les visites de contrôle. Tout cela est lié à la mise en place d’un modèle prescriptif d’enseignement qui à terme liquidera la liberté pédagogique, réduira et disqualifiera nos formations, fera de nous (qui sommes des travailleurs/euses intellectuel⋅le⋅s, capables de concevoir et de mener un projet) de simples exécutant⋅e⋅s, des coaches appliquant des consignes et accompagnant des exercices, conçus ailleurs, plus haut, au sommet d’une technobureaucratie qui nous échappe.

Il y a des liens forts, essentiels, entre le cahier des charges que le Grand Conseil et le DFJC nous promettent avec un autoritarisme de bon cru, les visites de contrôle systématiques que les sphères supérieures ordonnent et que les directions, avec plus au moins de zèle promeuvent et, cerise sur le gâteau, les entretiens d’évaluation, ces moments, ces signes, ces rituels d’assujettissement à l’organisation mutante de l’école, à la menaçante transformation de notre école en école-entreprise. A terme, il y a le salaire au mérite. Le travail librement géré et l’usage des vacances scolaires par les enseignant⋅e⋅s pour la libre organisation de leur travail seront remis en cause, érodés, détruits…

Que faire alors? Résister, bien-sûr. Mais avant tout décoder, décrypter, comprendre, analyser. Lutter, proposer des alternatives, penser une école nouvelle qui en gardant le meilleur de l’ancienne donne à la formation intellectuelle universelle une envergure nouvelle. Une école démocratique, tout simplement, avec des enseignant⋅e⋅s qui continuent d’être les artisan⋅e⋅s, les travailleurs/euses du complexe dans la plus belle tâche qui soit: faire accéder aux savoirs et aux grands langages, aussi haut et aussi loin que possible, les enfants et les jeunes de notre société.

Ce numéro de l’Ecole émancipée présente 21 thèses portées par SUD Education.

1 Trois instruments font le triangle maudit. Ce sont: a) le cahier des charges; b) l’entretien d’évaluation; c) les visites systématiques de contrôle. Avec la combinaison de ces trois instruments, l’employeur veut modifier en profondeur le statut des enseignant⋅e⋅s, leur professionnalité, l’organisation de leur travail, la liberté pédagogique, leur identité sociale et professionnelle.

2 Ce que le DFJC veut mettre en place, c’est une organisation du travail enseignant de plus en plus prescriptive, pointilleuse, fermée. Elle implique une réduction de l’envergure intellectuelle de notre métier, au moyen d’une sorte de «taylorisme pédagogique».

3 Ce n’est naturellement pas d’un complot provincial qu’il s’agit, d’une démarche purement vaudoise que les bureaucrates et les technocrates du DFJC nous auraient inventée. C’est un mouvement de fond, européen et international, qui cherche à transformer radicalement l’école.

4 Nous sommes dans un moment de crise de la culture, de crise de l’institution scolaire, de crise des savoirs scolaires et de la construction intellectuelle, que le travail de l’école doit impulser et porter.

5 De surcroît, comme tout le service public, porteur de progrès et de sécurité sociale, l’école est dénoncée par le pouvoir comme trop chère, pas assez rentable. Elle est susceptible de se voir imposer des gains de productivité, des économies financières, des politiques permanentes d’austérité et de redimensionnement.

6 Il ne s’agit pas d’idéaliser l’école du passé, qu’il soit lointain ou immédiat. L’école a toujours eu une dimension de sélection et de ségrégation, mais cette dimension était combattue et régulée par une démarche fondamentale, une mission largement reconnue: celle d’impartir des savoirs et d’organiser la construction de la formation intellectuelle des élèves, non pas dans un but immédiatement utilitariste, mais dans une démarche humaniste.

7 Naturellement, pour que l’école généralise cette dimension intellectuelle émancipatrice, pour qu’elle se propose d’élargir l’acquisition des grands savoirs et des grands langages à toutes et à tous, il a fallu une pression permanente, un véritable mouvement social sur la longue période mobilisant des intérêts et des objectifs, matériels et symboliques, extrêmement divers. La démocratisation des études n’est de loin pas parvenue à réaliser cette universalisation de la culture humaniste, mais elle l’a posée en tant qu’enjeu, en tant qu’ambition de l’école, en tant que mesure de l’envergure d’un projet socio-pédagogique.

8 Cette volonté de faire une grande école émancipatrice, avec des enseignant⋅e⋅s formé⋅e⋅s pour pouvoir la réaliser dans une optique égalitaire et démocratique, est aujourd’hui attaquée de toutes parts. Les politiques cumulatives d’austérité s’ancrent dans la conception dominante d’une école utilitariste, totalement déterminée par des objectifs immédiats (mouvants et instables), d’employabilité des populations scolaires. L’école devrait devenir un appareil mobilisé au service de la valorisation économique immédiate et illimitée. Du coup, les savoirs et les disciplines, dans leurs textures et leurs envergures, sont érodés, démantelés, voire détruits au profit de connaissances limitées, liées à des démarches comportementalistes dans un but restreint de préparation à l’emploi et au travail salarié.

9 Pour l’immense majorité des élèves, les grands savoirs et les grands langages deviennent de trop et sont remplacés par des savoirs parcellisés, combinés selon une logique d’objectifs qui ne permet ni la construction de la formation intellectuelle, ni l’entrée dans les disciplines, ni la maîtrise des connaissances.

10 Cette école utilitariste implique une transformation de l’institution elle-même. Certes, l’école a toujours été fortement hiérarchisée, mais l’institution scolaire reposait sur des communautés pédagogiques de professionnel⋅le⋅s partageant, dans une certaine mesure, un savoir commun.

11 Aujourd’hui, les gens de pouvoir veulent faire une école calquée sur le modèle de l’entreprise chercheuse et génératrice de profit, uniquement orientée vers la rentabilité économique immédiate et le pouvoir qui la porte. Cette école-entreprise ne devrait et ne voudrait offrir qu’un savoir utilitariste et appauvri, abandonnant les grands champs des disciplines et des connaissances, l’ambition sociopédagogique universaliste et la marche en avant de la formation intellectuelle. C’est-à-dire l’objectif d’universalisation et de démocratisation de l’école.

12 Pour faire cette école, il n’est plus besoin, dans la plupart des situations pédagogiques, de ce que sont jusqu’ici les enseignant⋅e⋅s: des travailleurs/euses intellectuel⋅le⋅s maîtrisant la complexité des savoirs et les conditions de leur passage comme de leur interprétation. Cette école veut que l’on passe de l’enseignement avec ce que cela suppose de maîtrise et de transmission de connaissances systématiques et structurées à une espèce de coaching, faussement interactif et empathique où l’acte d’enseigner devient mécanique et perd tout de sa profondeur intellectuelle.

13 L’école entreprise veut des enseignant⋅e⋅s nouveaux/elles, intellectuellement racorni⋅e⋅s, réductibles à un travail composé d’opération parcellisées, prescriptibles et contrôlables.

14 C’est dans ce cadre que s’inscrit le triangle maudit annoncé dans notre point 1. Le cahier des charges représente tout d’abord le symbole de l’expropriation de la complexité, de la richesse et de l’envergure du travail enseignant. On passe à un travail prescriptif, parcellaire, intellectuellement aplati. Le travail enseignant perd de sa dimension de service public pour devenir une prestation banalisée, sérielle.

15 Mais le cahier des charges n’est pas que cela. Il représente aussi une tentative évidente d’imposer aux enseignant.e.s une masse supérieure de travail, et de travail non payé. En même temps que le système veut appauvrir l’enseignement de l’intérieur, il en étend les tâches et veut attaquer le travail librement géré. Au fond, le pouvoir veut deux choses avec le cahier de charges: d’une part, entrer dans le secret de cette boîte noire qu’est le travail de l’enseignant⋅e dans et hors de la classe, prescrire son activité, et d’autre part, accroître la charge de travail avec des activités nouvelles qui ne peuvent parvenir à compenser la lésion faite à une école appauvrie.

16 La mission de l’enseignant⋅e, ce qu’il/elle a à faire est décrit de la manière la plus précise dans les textes légaux, les règlements, les directives. Le cahier des charges n’a d’autres raisons d’exister que d’ajouter des tâches à ce travail, à cette mission. C’est pour cela qu’il faut le refuser. Et qui dit nouvelles tâches dit temps supplémentaire arraché à ce travail librement géré qui est à la base même de l’activité et de la construction intellectuelle de l’enseignant⋅e. Dans la mesure où l’école s’appauvrit, le pouvoir veut appauvrir intellectuellement ses enseignant⋅e⋅s et recycler une partie de leur temps dans des tâches supplémentaires non payées. Tout le reste est faribole, discours de circonstances et consolation des ingénu⋅e⋅s.

17 Au cahier des charges viennent s’ajouter les visites systématiques de contrôle, promues par le département. Le système ne justifie ces visites qu’au nom du pouvoir hiérarchique, du commandement et de la nouvelle organisation des compétences de direction dans l’école-entreprise. On remarquera qu’il n’est pas question de garantir que ces visites soient effectuées par des personnes qui sont formées dans les mêmes disciplines que les maître⋅se⋅s visité⋅e⋅s. Par définition on ne saurait évaluer une intervention pédagogique et à fortiori un travail didactique sans connaissances de la discipline enseignée. Si les personnes qui visitent ne connaissent pas ces éléments, elles ne peuvent pas évaluer une intervention pédagogique. Elles ne peuvent que juger de la conformité des prescriptions comportementales pour la situation de la classe et de la capacité de l’enseignant⋅e à faire régner le comportement prescrit et les normes qui l’accompagnent. En d’autres termes, ce ne sont point les compétences professionnelles et intellectuelles de l’enseignant⋅e qui sont évaluées, mais celles qui sont dites «personnelles et sociales».

18 Une autre question doit être soulevée pour ces visites de contrôle. Les enseignant⋅e⋅s sont des professionnel⋅le⋅s formé⋅e⋅s et éprouvé⋅e⋅s. La visite de contrôle systématique vient remettre en question les qualifications acquises et les savoirs certifiés. Comme le veut le projet général de l’école-entreprise (et du système socio-économique dominant), aucun savoir n’est durablement reconnu, ni tenu pour acquis. Les gens sont systématiquement mis sous pression, déstabilisés, contrôlés, mesurés et sanctionnés. Leur métier est profondément remis en cause comme signe et gage d’identité, comme condition de statut et de revenu. Tout, sans cesse, est remis en question.

19 Au savoir professionnel, clairement défini, normé, acquis, le système oppose un savoir professionnel fragilisé, sans cesse remis en question, inextricablement mêlé à des compétences dont le pouvoir définit seul, arbitrairement, la nature, l’envergure et l’utilité. A vrai dire, à l’affaiblissement du savoir professionnel vient correspondre une valorisation du conformisme, de l’acceptation, des rites d’allégeance à la culture d’organisation entrepreneuriale. En somme, on veut importer dans l’école tous les éléments du détestable management des ressources humaines qui traite de manière inhumaine et systématique les femmes et les hommes qui travaillent.

20 Il y a enfin le 3e sommet du triangle, l’entretien d’évaluation qui prépare, pour plus tôt qu’on ne le pense, la tentative d’introduire le salaire au mérite dans le monde enseignant. L’entretien d’évaluation est une forme, une structure, un mode relationnel imposé par l’employeur. Il est asymétrique et inégalitaire. L’entretien d’évaluation exige au préalable que l’on se plie à un système. La conclusion obligée de cet entretien est la fixation d’objectifs qui entendent ritualiser et normaliser les comportements et accroître la productivité du travail. L’entretien d’évaluation ne conçoit que l’individu isolé face à la hiérarchie; il refuse radicalement de prendre en compte les conditions objectives et matérielles dans lesquelles un travail est effectué. Il fait reposer l’ensemble des problèmes et des dysfonctionnements sur le/la travailleur/euse, l’enseignant⋅e en l’occurrence, seul⋅e responsable de tous les maux qui peuvent se produire dans son activité, responsable de toutes les combinaisons situationnelles qu’il/elle peut avoir à connaître et dans lesquelles il/elle doit agir.

mars2012.qxd21 Dans le triangle maudit, décidément, toutes les pointes blessent. Nous n’en voulons pas, comme nous ne voulons pas de cette école-entreprise utilitariste, sélectivement féroce selon des modalités qui combinent les sélections traditionnelles et des ségrégations nouvelles, sans cesse démultipliées, sans cesse plus intenses. Nous voulons une école démocratique. Elle est inséparable de notre volonté de demeurer des enseignant⋅e⋅s confronté⋅e⋅s à la complexité intellectuelle et capables de la maîtriser, dans notre formation comme dans l’enseignement que nous donnons à nos élèves. Il faut ouvrir la boîte noire du travail en classe, dans le respect scrupuleux de la liberté pédagogique, de la coopération libre, volontaire et inventive, horizontale et non contrainte, des enseignant⋅e⋅s. Naturellement, tout cela conduit à l’autogestion pédagogique. Nous la revendiquons. Tout cela demande aussi, les moyens matériels et humains et une indiscutable volonté d’opposer le travail de l’école, l’intervention pédagogique, l’enseignement, à ce qu’on désigne si aisément comme les fatalités de l’inégalité dans la société et entre les individus. Il n’est pas question de se résigner à une école utilitariste qui signerait et couronnerait la crise de la culture. Il nous faut une école des grands savoirs et des grands langages pour toutes et tous, avec ce que cela implique de volonté et de détermination de chacun et chacune.

Ce que le DFJC veut mettre en place, c’est une organisation du travail enseignant de plus en plus prescriptive, pointilleuse, fermée

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